Le silence des oiseaux

A l’attention des lecteurs : ce dossier est la version intégrale de l’article « Le silence des oiseaux » paru dans « La lettre de Déphis » n°2 (avril-mai 2018)

Le Centre National de la Recherche Scientifique et le Muséum National d’Histoire Naturelle ont publié le 20.03.2018 un alarmant constat de disparition massive d’oiseaux sur notre territoire : -30% en 15 ans.

Un tiers de disparus. Ce chiffre glaçant est la conclusion à laquelle parviennent les ornithologues professionnels et amateurs du pays, engagés dans le programme STOC porté par le CNRS et le MNHN.

Une hécatombe propre au milieu agricole

Les relevés effectués en milieu rural mettent en évidence une diminution des populations d’oiseaux vivant en milieu agricole depuis les années 1990. Les espèces spécialistes de ces milieux, comme l’alouette des champs, la fauvette grisette ou le bruant ortolan, ont perdu en moyenne un individu sur trois en quinze ans. Et les chiffres montrent que ce déclin s’est encore intensifié en 2016 et 2017.
Ces résultats nationaux sont confirmés par une seconde étude menée à une échelle locale sur la Zone atelier « Plaine & Val de Sèvre » portée par le CNRS : en 23 ans, toutes les espèces d’oiseaux de plaine y ont vu leurs populations fondre : l’alouette perd plus d’un individu sur trois (-35%) ; avec huit individus disparus sur dix, les perdrix sont presque décimées. Ce déclin frappe toutes les espèces d’oiseaux en milieu agricole, aussi bien les espèces dites spécialistes – fréquentant prioritairement ce milieu -, que les espèces dites généralistes – retrouvées dans tous les types d’habitats, agricoles ou non. Or d’après le STOC, les espèces généralistes ne déclinent pas à l’échelle nationale ; la diminution constatée est donc propre au milieu agricole, sans doute en lien avec l’effondrement des insectes.

A l’origine du déclin, agriculture intensive et pesticides tous azimuts

Cette disparition massive observée à différentes échelles est concomitante à l’intensification des pratiques agricoles ces 25 dernières années, plus particulièrement depuis 2008-2009. Une période qui correspond entre autres à la fin des jachères imposées par la politique agricole commune, à la flambée des cours du blé, à la reprise du sur-amendement au nitrate permettant d’avoir du blé sur-protéiné et à la généralisation des néonicotinoïdes, insecticides
neurotoxiques très persistants. Pointés du doigt par de nombreuses études citées par l’EFSA (agence européenne en charge de la sécurité sanitaire des aliments) notamment dans la surmortalité massive des abeilles, ces produits sont poussés en avant par des multinationales dont la tristement célèbre Monsanto, fabricant de l’agent orange et n’hésitant pas manipuler et corrompre des chercheurs pour verdir les résultats d’étude de toxicité de ses produits.

C’est urgent ? On voit ça sous 5 ans !

Très impliquée depuis sa fondation en 1912, la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux) a rappelé à l’occasion de ce communiqué qu’elle vient à peine d’arriver à faire stopper le braconnage des Bruants ortolans, et que l’alouette est toujours piégée sous prétexte de « chasse traditionnelle » dans le sud-ouest de la France (comme 20 autres espèces en mauvais état de conservation -inscrits comme tels sur les listes rouges de l’UICN- et pourtant chassées en France). Pour rappel Emmanuel Macron s’était engagé pendant la campagne il y a presque un an à « demander au Ministre en charge de l’environnement d’étudier la signature d’un arrêté modifiant la liste des espèces gibiers en y retirant toutes les espèces en mauvais état de conservation ». Rien n’a été fait à ce jour.

On rappellera également que son ministre de l’Ecologie Nicolas Hulot avait annoncé en octobre 2017 la volonté gouvernementale d’une interdiction des molécules comme le glyphosate et les néonicotinoïdes d’ici à la fin du quinquennat. Arguant contre toute réalité qu’il  « [n’avait] pas l’autorité aujourd’hui de dire (qu’)on interdit ces substances », malgré les preuves accumulées et un risque sanitaire avéré de ces produits reconnus cancérogènes probables par l’OMS, le ministre en charge du dossier tout comme le chef de l’état semblent avoir décidé d’en faire le moins possible le plus vite possible.

Sans vrombissement d’insecte dans les champs et au bord des rivières, sans chant d’oiseau au petit matin, il devient très, très dur de « penser printemps », monsieur le président.